Disclaimer : Les éléments ci-après s’entendent hors cas particulier et sont basés sur les connaissances/la situation au moment de leur rédaction, de sorte que la présente ne constitue pas un avis juridique liant vis-à-vis des lecteurs et ne présage pas de la position qui pourra être adoptée par les tribunaux luxembourgeois.
La crise du Covid-19 continue de faire des ravages, impactant, outre la santé, l’économie et la sécurité juridique. En effet, les gouvernements sont contraints d’agir dans l’urgence et les textes pris ne sont pas toujours exhaustifs.
Nous avons déjà évoqué dans une précédente publication l’une des principales mesures du règlement grand-ducal du 18 mars 2020 portant introduction d’une série de mesures dans le cadre de la lutte contre le Covid-19 et déclarant l’état de crise, à savoir la fermeture de tous les chantiers de construction à partir du 20 mars 2020 à 17h00, à l’exception des seuls chantiers hospitaliers et ceux concernant les infrastructures critiques, en cas de besoin.
Cet arrêt forcé des chantiers vient de prendre fin et les constructions ont été autorisées à reprendre à partir du 20 avril, sous réserve de respecter des mesures de sécurité adéquates.
Les chantiers sont donc restés arrêtés pendant un peu plus d’un mois, ce qui ne manquera pas de causer retards et désorganisations, notamment dans le cas des ventes en l’état futur d’achèvement, type de vente dans lesquelles le transfert de propriété du terrain est immédiat, le transfert de propriété des constructions se fait au fur et à mesure, et le prix est payable par fractions en fonction de l’état d’avancement du chantier.
Qu’en est-il alors en cas de retard de livraison (1) ou pire, en cas de faillite du constructeur (2) ?
Les contrats de ventes en l’état futur d’achèvement comportent systématiquement un délai de livraison, au-delà duquel le vendeur/constructeur sera le cas échéant tenu de verser des pénalités.
Les pénalités ne sont cependant pas automatiques : en pratique, les contrats contiennent des causes d’exonération justifiant un retard qui ne serait pas le fait du constructeur, pouvant aller d’une météo défavorable à une défaillance des sous-traitants, en passant par d’autres évènements extérieurs.
Afin de savoir si le constructeur peut s’exonérer d’un retard de livraison d’un mois en raison de l’arrêt des chantiers entre le 18 mars et le 20 avril 2020, la première chose à faire est donc de vérifier le contrat. S’il est évident que les contrats signés avant la crise ne peuvent pas faire explicitement mention du Covid-19, il est cependant courant que les clauses prévoient qu’il y a exonération en cas de pandémie ou dans le cas de décisions administratives ordonnant l’arrêt du chantier ou empêchant sa poursuite (lorsqu’elles ne sanctionnent pas la conduite du constructeur).
Si le contrat ne comporte aucune clause ou n’est pas suffisamment précis quant à l’appréciation de la cause exonératoire et aux caractères qu’elle doit revêtir pour que la responsabilité du constructeur soit écartée, il faudra se reporter au concept légal de la force majeure, qui suppose, rappelons-le, la réunion de trois conditions dans le chef de la partie défaillante : l’extériorité, l’imprévisibilité, et enfin l’irrésistibilité.
A cet égard, la jurisprudence a déjà reconnu que le fait du prince, à savoir une décision émanant des autorités et affectant la relation contractuelle, est une cause exonératoire de responsabilité lorsqu’elle revêt les caractéristiques de la force majeure (Cour d’appel (civil), 9 mai 2001).
Ceci peut-il s’appliquer aux constructions retardées par la décision gouvernementale ? Les critères de la force majeure semblent bien remplis. L’extériorité ne cause aucune difficulté dans la mesure où l’interdiction émane du gouvernement, et ne vient pas sanctionner un comportement individuel puisqu’elle est générale. L’imprévisibilité, sauf cas improbable d’un contrat signé pendant la crise, ne pose pas de difficultés non plus. Enfin, le critère de l’irrésistibilité semble également parfaitement rempli : en-dehors des exceptions comme les constructions de structures hospitalières ou les infrastructures critiques, aucun chantier ne pouvait démarrer ou se poursuivre entre le 18 mars et le 20 avril 2020, même si le constructeur prenait toutes les précautions nécessaires. L’interdiction étant absolue et assortie de lourdes sanctions, l’empêchement paraît bien irrésistible.
Pour autant, on aurait tort de ne considérer que la levée de l’interdiction gouvernementale. En effet, la seule possibilité juridique de reprendre les chantiers ne suffit pas à garantir leur reprise immédiate.
De fait, de nombreux autres obstacles peuvent ralentir, voire empêcher la reprise d’un chantier tels que les difficultés d’un sous-traitant, les difficultés d’approvisionnement du matériel (particulièrement lorsqu’il provient de l’étranger), la réinstallation du chantier, les difficultés à faire venir le personnel ou les machines. Les obstacles potentiels peuvent donc être nombreux et entraîner un retard plus important que celui lié à l’interdiction gouvernementale.
Au contraire de cette dernière, il n’est pas certain que ces évènements revêtent le caractère de force majeure. Il faudra examiner au premier chef les contrats pour déterminer s’ils sont prévus par les clauses pertinentes et sous quelles conditions ils peuvent entraîner l’exonération du constructeur. En l’absence de stipulations contractuelles spécifiques, il faudra à nouveau analyser l’évènement sous le prisme de la loi et vérifier si les trois critères, d’imprévisibilité, d’irrésistibilité et d’extériorité sont remplis.
Une conséquence plus grave pour l’acquéreur, et qui ne peut être écartée compte tenu de l’ampleur de la crise actuelle, pourrait résider dans une éventuelle faillite du constructeur alors que l’immeuble n’est pas achevé. Non seulement le constructeur devient insolvable, ce qui rend hasardeux le recouvrement d’éventuelles pénalités (à supposer qu’elles soient juridiquement fondées), mais surtout, il ne peut pas terminer la construction.
Heureusement pour l’acquéreur, la loi prévoit des mécanismes de protection à cet égard. En effet, aux termes de l’article 1601-5 du Code civil, l’acte notarié, documentant la vente d’un immeuble en l’état futur d’achèvement, doit obliger le vendeur à fournir à l’acquéreur une garantie financière par un établissement bancaire. Cette garantie financière peut, aux termes de l’article 1601-5 du Code civil se présenter sous deux formes différentes :
– soit sous la forme d’une garantie d’achèvement complet de l’immeuble à construire, à savoir un financement par la banque pour faire achever l’immeuble par un autre prestataire
– soit sous la forme d’une garantie de remboursement des versements effectués par l’acquéreur, en cas de résolution du contrat de vente à la suite du défaut du vendeur d’achever la construction – étant relevé que cette garantie se substitue de plein droit à la garantie d’achèvement s’il s’avère impossible de terminer la construction
La garantie couvre tous les cas où le vendeur n’est pas à même d’assurer l’achèvement, que ce soit pour des circonstances indépendantes de sa volonté ou en raison de fautes commises par lui ou de personnes dont il est responsable.
Les acquéreurs confrontés à la défaillance d’un constructeur devront donc se rapprocher de leur banque afin de faire jouer la garantie qu’ils ont souscrite.
N.B. : La garantie d’achèvement peut être compliquée à mettre en œuvre étant donné qu’elle nécessitera le recours à des experts pour déterminer le degré d’achèvement des lots individuels mais également des parties communes puis le recours à des entreprises tierces pour réaliser les travaux nécessaire, les réceptions individuelles et collectives etc… .
• A la lumière des textes et de la jurisprudence actuels, et compte tenu du caractère absolu de l’interdiction gouvernementale, il ne semble pas possible pour un acquéreur d’un immeuble en l’état futur d’achèvement de solliciter des pénalités en cas de retard de livraison dû à l’arrêt forcé des chantiers pendant un mois – cela est cependant à nuancer si le retard est entraîné par d’autres motifs, même liés à la crise, qui devront être examinés à la lumière des critères de la force majeure.
• Par parallélisme, les acquéreurs n’ont pas davantage à régler les fractions de prix correspondant aux différentes étapes du chantier qui n’ont, par définition, pu être atteintes en raison de l’arrêt forcé des constructions. Rappelons que pour être exigibles les travaux liés aux différentes tranches doivent être achevés et non pas simplement en cours de réalisation.
• En cas de faillite du constructeur et d’impossibilité d’achever la construction, les acquéreurs peuvent se tourner vers les mécanismes légaux de protection et faire jouer la garantie qu’ils ont souscrite, soit pour achever l’immeuble, soit pour se faire rembourser.
Dans tous les cas non liés à une faillite, les parties ont tout intérêt à se rapprocher pour déterminer les suites de leur collaboration afin que les chantiers puissent reprendre dans les meilleures conditions. Avant de lancer les hostilités, il est toujours prudent de hisser un drapeau blanc pour tenter d’abord de trouver des solutions communes.