La crise du Covid-19 et les mesures prises pour y faire face impactent tous les secteurs et tous les acteurs de l’économie à des degrés divers. On s’intéressera ici au marché immobilier luxembourgeois, et plus particulièrement aux transactions immobilières.
Les visites de biens ne faisant pas partie des exceptions à l’interdiction de déplacement édictées à l’article 1er du règlement grand-ducal du 18 mars 2020, le secteur tourne au ralenti. Malgré les outils dématérialisés mis à disposition des potentiels acquéreurs (visites virtuelles par ex.), il est donc très peu probable de voir aboutir de nouvelles transactions (i.e. non débutées avant la crise sanitaire) tant que les restrictions administratives ne seront pas levées – à cet égard, le gouvernement vient d’ailleurs d’annoncer que les visites de biens reprendront au plus tôt le 11 mai.
Qu’en est-il des acquéreurs qui s’étaient déjà engagés avant la crise par la signature d’un compromis, mais qui n’ont pas encore signé l’acte authentique chez le notaire ? Sont-ils actuellement matériellement en mesure d’aller au bout de la transaction (la signature de l’acte authentique étant dans la très grande majorité des cas synonyme de transfert de propriété du bien)? (1.) L’une ou l’autre des parties peut-elle renoncer à la transaction, voire renégocier le prix ? (2.)
Au Luxembourg et bien que cela ne soit pas obligatoire, la majorité des transactions immobilières se déroule en plusieurs temps.
Dans la plupart des cas, les parties signent d’abord un acte sous seing privé prenant la forme d’un « compromis de vente » devant être enregistré auprès de l’Administration de l’Enregistrement, des Domaines et de la TVA afin d’acquérir date certaine. Ce compromis sert également de base à la recherche d’un financement bancaire. Ce financement obtenu, les parties procèdent à la signature d’un acte authentique par devant notaire. Cette dernière étape indispensable rend le transfert de propriété publique et donc opposable aux tiers, les notaires ayant le monopole de la publicité foncière.
En ce temps de crise cependant et compte tenu des restrictions aux déplacements édictées par le gouvernement, les parties qui ont déjà signé un compromis peuvent-elles se déplacer en l’étude d’un notaire pour signer l’acte authentique de vente ?
Alors que les notaires français avaient été accusés de bloquer les transactions immobilières, les notaires luxembourgeois indiquent sur le site officiel de leur profession que les études notariales restent « ouvertes et opérationnelles ».
De plus et surtout, le règlement grand-ducal modifié du 18 mars 2020 a été complété le 24 avril dernier pour ajouter à la liste des exceptions à l’interdiction de circulation sur la voie publique « le déplacement vers les professions libérales » autorisées à exercer. Se rendre chez un notaire pour conclure une transaction immobilière est ainsi légalement autorisé.
Dans l’hypothèse où des personnes ne pourraient pas se déplacer en une étude notariale au jour et à l’heure dites, les signatures restent également toujours possibles par procuration à un tiers (dont notamment le clerc de notaire). La signature sur la procuration devra toutefois être préalablement légalisée . Pour rappel, la légalisation de signature certifie la sincérité et la véracité de la signature apposée sur une pièce ou un acte rédigé par un particulier et atteste que la signature est authentique et qu’elle a été effectuée par la personne elle-même. Pour ce faire, la personne signataire peut se rendre auprès de l’administration communale de son lieu de résidence, d’un notaire ou d’une ambassade ou d’un consulat. Suivant le règlement grand-ducal modifié du 18 mars 2020, le « déplacement vers les administrations et services publiques » est autorisé.
La signature électronique n’est quant à elle pas encore utilisable pour les actes notariés.
Rappelons également que le droit luxembourgeois ne prévoit pas de délai minimal pour entériner une vente devant notaire. Cependant, la quasi-totalité des compromis comporte un délai convenu par les parties à l’issue duquel l’acte authentique doit être signé sous peine de caducité du compromis et d’application d’une clause pénale (pénalité due par la partie ne se présentant pas chez le notaire à l’autre partie). Les délais contractuels de vente n’étant à ce jour pas concernés par les différents textes de crise prolongeant divers délais de procédure et de péremption, il conviendra alors ici pour les parties à un compromis de se rapprocher afin de proroger ensemble les délais contractuellement prévus.
Une autre alternative pour échapper à la caducité du compromis et au paiement d’une pénalité serait enfin pour l’acquéreur non-signataire d’un acte notarié de se prévaloir de la force majeure. Celle-ci reste toutefois difficile à invoquer car elle suppose la réunion de trois conditions dans le chef de la partie défaillante : l’extériorité – qui ne pose aucune difficulté ici puisque la crise est totalement extérieure aux parties, l’imprévisibilité – qui s’apprécie au moment de la signature du compromis donc également invocable et enfin l’irrésistibilité- la partie défaillante devant prouver qu’il lui était impossible de signer l’acte d’une manière ou d’une autre, ce qui n’a rien d’évident puisque les procurations sont possibles.
La jurisprudence luxembourgeoise est parfaitement claire sur le fait que le compromis de vente est un engagement définitif : « la vente d’un immeuble, consentie par acte sous seing privé, est parfaite, dès lors que cet acte constate l’accord des parties sur la chose et le prix. Il s’en suit que l’énonciation d’un pareil écrit qu’un acte notarié sera ultérieurement dressé, n’est en principe qu’une modalité du contrat de vente définitivement formé. Il n’en est autrement que s’il résulte clairement, soit des termes de la convention, soit des circonstances, que les parties ont voulu subordonner la formation et l’efficacité du contrat à l’accomplissement de cette formalité » (Tribunal civil de Luxembourg du 31 mai 1961).
Il n’y a dès lors en principe pas d’échappatoire pour l’acquéreur qui aurait changé d’avis une fois le compromis signé. La vente doit être entérinée devant notaire dans le délai prévu au compromis sous peine de dommages et intérêts ou de versement d’une pénalité éventuellement prévue dans une clause pénale.
Dans l’hypothèse où le compromis contiendrait une ou plusieurs condition(s) suspensive(s) à charge de l’acquéreur (ex : obtention d’un prêt bancaire), il est important de rappeler que ce dernier doit faire preuve de bonne foi dans les démarches tendant à la réalisation de cette/ces dernière(s). Il s’expose en effet à une action en vente forcée du vendeur ou à une demande en dommages et intérêts s’il a volontairement empêché la réalisation d’une condition (sur les clauses suspensives du compromis en général, cf. notre précédente publication : https://molitorlegal.lu/les-clauses-suspensives-dans-un-compromis-de-vente-dun-bien-immobilier/).
Un tempérament à la force obligatoire du compromis pourrait-il cependant être apporté ici en raison de la situation de crise sans précédent que nous traversons ?
En effet, bien que cela ne soit pas encore matérialisé à l’heure actuelle, on ne peut exclure une stagnation, voire une baisse du nombre des transactions immobilières ayant pour corollaire une baisse des prix. Un acquéreur ayant signé un compromis avant l’arrivée de la crise pourrait alors estimer être en droit de renégocier le prix voire de se retirer de la vente, en faisant valoir que s’il avait pu prévoir les conséquences de cette crise, il n’aurait pas accepté d’acquérir le bien au prix du compromis.
Comme nous l’avons vu plus haut, la force majeure ne semble pas invocable puisqu’elle suppose notamment que le débiteur de l’obligation de signature soit empêché d’exécuter son obligation de manière totale et permanente et pas simplement que l’exécution de cette obligation soit rendue plus onéreuse (Cass. com. 31-5-1976, n°75-14.625 : Bull. civ. IV n° 18).
Quid alors d’un refus ou d’un retrait de financement par une banque pour les ventes soumises à l’obtention préalable d’un prêt bancaire ? Si le délai prévu au compromis pour obtenir le prêt n’est pas expiré, rien n’empêche alors l’acquéreur de rechercher un financement auprès d’un autre établissement. Si le financement n’a pas été obtenu dans le délai et que l’acquéreur ne dispose pas des fonds à la date prévue par le compromis, il conviendra alors de se reporter à l’acte pour déterminer les effets de l’absence de financement. Dans la quasi-totalité des cas, le compromis sera caduc, l’obtention préalable de financement ayant été définie par les parties comme une condition suspensive de la vente.
Pour finir, nous évoquerons une autre théorie (dite de l’imprévision) permettant une adaptation par le juge d’un contrat lorsque surviennent des circonstances imprévisibles au moment de sa signature lesquelles perturbent alors l’équilibre entre parties. Un acquéreur signataire d’un compromis de vente pourrait-il faire valoir cette théorie pour renégocier ses modalités devant un tribunal ?
Contrairement au droit français qui vient récemment de la consacrer dans son Code civil, la théorie de l’imprévision ne figure pas dans l’arsenal législatif luxembourgeois. Elle n’a en outre jamais été explicitement consacrée par les tribunaux. Si elle a déjà été évoquée, les conditions posées par les juges luxembourgeois pour une application éventuelle sont extrêmement restrictives. Dans un arrêt du 23 décembre 1930 (Pasicrisie Tome 12 (1930-1932), p 226), la Cour supérieure de justice estime en effet :
« Qu’il serait juste dans ce cas de limiter l’intervention du juge à la seule hypothèse où le maintien du contrat consacrerait un abus manifeste des droits dans le chef d’une des parties contractantes, abus nettement contraire à l’utilité sociale du contrat, comme s’il heurtait d’une façon flagrante la morale sociale ou s’il aboutissait à la ruine ou à un appauvrissement notable et injuste du débiteur ou à un enrichissement exagéré du créancier; qu’en effet, ce n’est que dans le cas où le contrat cesserait de répondre à son utilité sociale, qui est sa raison d’être, que l’intervention du juge pourrait se justifier »
Il est ici plus que douteux qu’une simple stagnation ou même une baisse de l’activité sur le marché immobilier puisse être assimilée à une situation aboutissant à heurter la morale sociale ou causant un appauvrissement notable et injuste du débiteur.
La Cour de cassation a d’ailleurs déjà refusé dans une décision du 24 octobre 2013 (n° 64/13) d’annuler un compromis de vente pour imprévision. En l’occurrence le vendeur avait refusé de régulariser l’acte au motif que les prix avaient significativement augmenté depuis le compromis qui avait été signé plus de dix ans auparavant. L’augmentation des prix entre la signature du compromis et l’arrêt de cassation avait été exponentielle compte tenu de la durée écoulée. Pour autant, la Cour n’a pas estimé que l’imprévision pouvait être invoquée, estimant que des fluctuations du prix de l’immobilier ne sont pas imprévisibles.
Un acquéreur signataire d’un compromis ne saurait donc réussir à faire résilier ce dernier ni à en modifier les conditions en arguant d’une chute même significative des prix – dont rien n’indique d’ailleurs à ce jour qu’elle se produira. Pour autant, il convient bien entendu de rester prudent, l’ampleur de la crise et son effet sur le marché immobilier, plus généralement l’économie luxembourgeoise, n’étant pas encore connue à l’heure actuelle.
En conclusion
Disclaimer : Les éléments ci-après s’entendent hors cas particuliers et sont basés sur les connaissances/la situation au moment de leur rédaction, de sorte que la présente ne constitue pas un avis juridique liant vis-à-vis des lecteurs et ne présage pas de la position qui pourra être adoptée par les tribunaux luxembourgeois.