La crise du coronavirus a d’importantes conséquences juridiques et oblige les gouvernements à agir dans l’urgence pour tenter de protéger les acteurs économiques et les citoyens des conséquences de cette crise. Parmi eux figurent notamment les locataires de baux commerciaux et de baux d’habitation menacés d’expulsion.
En bail commercial, la loi du 3 février 2018 a remplacé l’ancien sursis commercial de six mois maximum, renouvelable une fois, par un sursis à déguerpissement d’une décision d’expulsion prononcée par le juge, le nouvel article 1762-9 du Code civil prévoyant un sursis unique pouvant aller jusqu’à neuf mois.
A la requête du preneur ou du sous-locataire commerçant, le juge de paix peut ainsi ordonner qu’il soit sursis à l’exécution d’une condamnation au déguerpissement le concernant. Le sursis à exécution ne peut être accordé qu’aux conditions cumulatives suivantes :
La décision judiciaire autorisant le sursis au déguerpissement forcé du locataire n’est pas susceptible d’opposition ou d’appel.
En bail d’habitation, la loi modifiée du 21 septembre 2006 prévoit également que le juge peut prononcer un sursis à déguerpissement qui ne peut par contre pas dépasser trois mois.
Le sursis peut cependant être prorogé à deux reprises, chaque fois pour une durée maximum de trois mois.
Le sursis est soumis à plusieurs conditions, à savoir que le requérant doit « paraître mériter cette faveur » et prouver avoir effectué des démarches utiles et étendues pour trouver un nouveau logement.
Même lorsque ces conditions sont réunies, le sursis peut être refusé s’il apparaît incompatible avec le besoin personnel de l’autre partie.
Le juge de paix fixe par ailleurs une contrepartie pécuniaire due par la partie condamnée à déguerpir pendant la durée du sursis en raison de son maintien provisoire dans les lieux, en tenant compte du dommage qui en résulte pour le bailleur.
Il est enfin à noter qu’en cas d’appel d’une décision ordonnant le déguerpissement, si la décision d’expulsion est confirmée ou l’appel déclaré nul ou irrecevable, la partie condamnée à déguerpir ne pourra plus introduire une nouvelle demande en sursis à l’exécution de la décision.
Face à la crise et aux craintes de nombreux commerçants et particuliers résidant au Grand-Duché, le gouvernement vient d’adopter le 25 mars 2020 un règlement grand-ducal portant suspension des délais en matière juridictionnelle et adaptation temporaire de certaines autres modalités procédurales.
Dans son article 5-1), ce règlement prévoit que « Les déguerpissements ordonnés en matière de bail à usage d’habitation et de bail à usage commercial sont suspendus ».
On notera qu’aucune condition n’est posée à la suspension : celle-ci est générale et s’applique à tous les locataires qui n’ont pas encore évacué les lieux. Il n’est donc pas nécessaire de prouver que les sommes dues au propriétaire sont payées ou que des démarches ont été effectuées pour retrouver un autre local ou logement.
Il convient également de relever que le règlement grand-ducal n’a aucune incidence sur la résiliation des baux ou la condamnation à déguerpissement. Dès lors qu’il existe une décision judiciaire définitive en ce sens, la résiliation et l’expulsion restent à notre sens acquises. Ce sont simplement leurs effets qui sont suspendus. Par conséquent, une fois la crise terminée, les expulsions devraient pouvoir reprendre sans que le bailleur ait à recommencer la procédure devant les tribunaux.
Quant à savoir quand cela interviendra, le règlement grand-ducal n’en dit mot. Il faut donc en déduire que cette suspension est à durée indéterminée, et ne cessera que lorsque les autorités compétentes le décideront. En attendant, les locataires pourront continuer à occuper les lieux s’agissant d’un bail d’habitation et à exploiter leur activité, pour peu qu’elle soit encore autorisée, s’agissant d’un bail commercial.
On peut enfin s’interroger sur les sommes dues par le locataire condamné à déguerpissement, notamment l’indemnité d’occupation, à savoir la somme que doit payer un occupant sans droit ni titre à compter de la résiliation du bail jusqu’à son départ. Cette obligation est-elle affectée par la suspension ? En principe elle ne devrait pas l’être car la suspension n’a pas d’effet sur la résiliation et sa date de prise d’effet. Tout juste cette suspension pourrait-elle avoir un effet sur les intérêts et pénalités qui seraient dues au bailleur en cas de non-déguerpissement à la date fixée par le jugement.
Il convient en tout cas pour les personnes concernées de bien relire, avec leur Conseil, le contenu et les termes exacts du jugement ordonnant le déguerpissement pour déterminer précisément les conséquences pour eux de cette suspension décidée par règlement grand-ducal.