Après que l’état d’urgence ait été déclaré pour une période de 3 mois, le Règlement grand-ducal du 18 mars 2020, tel que modifié, a instauré diverses mesures pour limiter autant que possible la propagation du COVID-19.
Appelés dans ce contexte à assurer le maintien de leurs activités essentielles considérées comme « essentielles pour le maintien des intérêts vitaux de la population et du pays », les acteurs du secteur de l’assurance se trouvent confrontés à un défi complexe : maintenir le fonctionnement de leurs services de manière efficace tout en protégeant la santé de leurs clients et employés. Ce délicat équilibre appelle nécessairement des adaptations internes, appuyées par des mesures étatiques (I).
Alors qu’ils sont eux-mêmes fortement impactés depuis le début de la crise sanitaire, les assureurs n’en restent pas moins solidaires et contribuent largement au maintien de l’économie luxembourgeoise (II).
Sous l’impulsion des régulateurs européen et luxembourgeois, les acteurs du secteur font également face à diverses actions visant à atténuer l’impact du COVID-19 sur le marché y compris à l’égard des assurés (III).
a. Les adaptations du mode de prestation des services
Les entreprises d’assurance n’en restent pas moins des employeurs et, à ce titre, sont responsables de la sécurité et de la santé de leurs salariés sur leur lieu de travail (Article L. 312-1 du Code du travail luxembourgeois) et sont donc tenues de prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger leurs salariés. Dans ce contexte de crise sanitaire, le télétravail est donc à privilégier autant que possible, s’il est compatible avec les fonctions du salarié. Dans le secteur de l’assurance, ce mode de travail a été substantiellement appliqué. Selon l’association luxembourgeoise des compagnies d’assurance et de réassurance (ACA), le télétravail représenterait près de 90 % des effectifs, tous acteurs du marché confondus.
En outre, dans un souci de protection de la clientèle et des employés ne pouvant user du télétravail, et tel que cela ressort d’un communiqué de l’ACA, l’ensemble des services à la clientèle des assureurs luxembourgeois sont certes maintenus, tant dans les sièges des assureurs que dans leurs agences, mais sans accueil physique de visiteur. Les assureurs membres de l’ACA invitent leur clientèle à recourir à tout outil de communication à distance. Ainsi, alors que le Règlement grand-ducal du 18 mars 2020 autorise en principe les déplacements des personnes physiques, en cas d’urgence, vers les entreprises d’assurance, les assurés devraient trouver porte close.
Ces adaptations organisationnelles n’épargnent d’ailleurs pas le régulateur luxembourgeois, le Commissariat aux Assurances (CAA). Face à la crise, le CAA reste opérationnel mais a adopté des mesures spécifiques, telles que la fermeture au public de ses bureaux, le fonctionnement avec un effectif réduit ainsi que le recours au télétravail. Les entités surveillées désireuses de rentrer en contact avec leur régulateur ou de lui communiquer des informations sont priées de privilégier les échanges électroniques par email.
Le maintien des activités essentielles liées au fonctionnement du secteur de l’assurance n’en est pas moins pleinement assuré. Seules certaines activités spécifiques se trouvent suspendues pendant la période de crise sanitaire, notamment les expertises nécessitant des déplacements sur site, incompatibles avec la protection des intervenants. A ce titre, le secteur des assurances automobiles se trouve plus particulièrement impacté.
Le Gouvernement a par ailleurs mis en place un programme de stabilisation de l’économie dont plusieurs mesures peuvent bénéficier aux assureurs ainsi qu’à leurs employés (recours au chômage partiel en cas de baisse d’activité, congés pour raisons familiales, …). Parmi ces mesures, citons plus particulièrement, une mesure fiscale fort utile en ce contexte de crise sanitaire. Comme dans de nombreux secteurs d’activités au Luxembourg, territoire favorisant les échanges transfrontières par excellence, le personnel des entreprises d’assurance est composé de nombreux frontaliers belges, allemands et français qui, en temps normal, doivent veiller à ne pas télétravailler au-delà d’un certain quota annuel, sous peine de voir leur rémunération afférente imposée dans leur pays de résidence. Afin de favoriser le recours au télétravail, et limiter ainsi les déplacements, cette barrière fiscale a été suspendue après négociations entre les différentes autorités étatiques concernées. Les jours de télétravail effectués durant la période de crise sanitaire ne sont ainsi pas comptabilisés dans le quota annuel.
b. Les adaptations du mode de fonctionnement des organes des sociétés d’assurance
En tant que sociétés, les entreprises d’assurance sont également soumises à plusieurs règles découlant de la loi du 10 août 1915 concernant les sociétés commerciales. Ces règles ont fait l’objet d’une adaptation suite à l’adoption en date du 20 mars 2020 d’un Règlement grand-ducal portant introduction de mesures concernant la tenue de réunions dans les sociétés et dans les autres personnes morales. Ces mesures, optionnelles, peuvent être adoptées nonobstant toute disposition contraire des statuts de la compagnie.
Une entreprise d’assurance peut désormais, quel que soit le nombre prévu de participants, tenir toute assemblée générale sans réunion physique, et imposer à ses actionnaires ou associés et aux autres participants de participer à l’assemblée et d’exercer leurs droits exclusivement : (i) par un vote à distance par écrit ou sous forme électronique sous réserve que le texte intégral des résolutions ou décisions à prendre aura été publié ou leur aura été communiqué, (ii) par l’intermédiaire d’un mandataire désigné par la société ; ou (iii) par visioconférence ou autre moyen de télécommunication permettant leur identification. Les règles de convocation à l’assemblée générale annuelle ont également été adaptées.
Les autres organes d’une société d’assurance peuvent tenir leurs réunions sans réunion physique par résolutions circulaires écrites ou par visioconférence ou autre moyen de télécommunication permettant l’identification des membres de l’organe participant à la réunion.
a. Les conséquences de la crise sanitaire sur le marché assurantiel
L’impact le plus évident, qui s’est rapidement fait sentir sur le marché, concerne l’évolution des tendances de sinistralité qui a été engendrée par la modification des comportements des assurés durant la crise. Ainsi, alors que les déclarations de sinistres de la circulation n’ont jamais été aussi faibles au Luxembourg dû à la limitation généralisée des déplacements pour cause de confinement, le secteur anticipe une hausse des déclarations en matière d’assurance cyber face à la recrudescence de la cybercriminalité engendrée par le recours significatif au télétravail et aux autres services en ligne. A l’égard des cyber-risques, auxquels de nombreuses entreprises et institutions n’auront probablement jamais été confrontées auparavant, les assureurs peuvent s’attendre à de nombreuses sollicitations et futures souscriptions.
Au-delà de ces considérations, un récent communiqué de presse de l’ACA met en lumière que les entreprises d’assurances sont doublement impactées par la crise en raison d’une baisse significative de leur chiffre d’affaires liée au faible nombre de nouvelles souscriptions, couplée à des bourses en berne, ayant engendré une moins-value de leurs actifs de l’ordre de 15% par rapport au 31 décembre 2019.
b. La réponse du secteur en soutien à l’économie
Malgré les difficultés que traversent indubitablement les assureurs de la place, ceux-ci se sont voulus solidaires en annonçant, par le biais de l’ACA, leur volonté claire de soutenir l’économie du pays.
Ainsi, les membres de l’ACA participent activement à la solidarité nationale en souscrivant aux obligations émises par l’Etat – affichant un taux d’intérêt pondéré moyen négatif des deux tranches de – 0,035% – destinées au financement des aides étatiques au profit des entreprises en difficultés ainsi qu’au maintien de l’emploi luxembourgeois.
Par ailleurs, alors même que les assureurs ont accès au programme de stabilisation de l’économie et peuvent théoriquement également formuler des demandes de chômage partiel, l’ACA annonce que ses membres principaux ont décidé de renoncer à cette possibilité en gardant l’ensemble de leurs équipes respectives au travail.
Enfin, l’ACA annonce dans son communiqué de presse qu’elle « mettra son expertise à la disposition du gouvernement pour étudier les possibilités de mise en place d’un mécanisme de protection contre les futurs risques sanitaires majeurs ».
Le secteur assurantiel au Luxembourg se trouve bien capitalisé et affiche des taux de couverture élevés (215,84 % en 2018, tous secteurs d’assurance et de réassurance confondus). Si le marché apparaît ainsi capable de résister à l’impact de la crise sanitaire, certaines mesures ont également été adoptées afin d’atténuer autant que possible cet impact sur les acteurs du secteur, les assurés compris.
a. Les adaptations réglementaires et les règles de prudence
Conscient des difficultés rencontrées par les acteurs du secteur de l’assurance pour respecter certains délais, le CAA a notamment décidé (i) d’allonger les délais de remise du reporting Solvabilité 2 et de publication et (ii) de proroger de 8 semaines les délais de remise des documents et fichiers en relation avec le reporting national annuel de l’exercice 2019. Ces mesures ont été accueillies avec un grand soulagement par les acteurs du marché. A cet effet, le CAA a publié un calendrier adapté de l’ensemble des reportings à remettre durant l’année 2020 à destination notamment des compagnies d’assurances-vie et non-vie. Ces décisions font écho à la publication par l’EIOPA le 20 mars 2020 de « Recommendations onsupervisory flexibility regarding the deadline of supervisory reporting and public disclosure – Coronavirus/COVID-19 (EIOPA-BoS-20/236) » accompagnées de leur foire aux questions, que le CAA a décidé de suivre formellement.
Soulignons également la déclaration EIOPA 20-137 aux termes de laquelle l’EIOPA considère que les assureurs doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour continuer à garantir un niveau solide de fonds propres afin de pouvoir protéger les assurés et absorber les pertes potentielles. A noter que l’EIOPA y avait également affirmé son souhait de voir les entreprises d’assurance adopter des politiques prudentes en matière de dividendes et d’autres distributions, y compris les rémunérations variables. Sur ce même sujet, l’EIOPA a d’ailleurs publié une déclaration distincte le 2 avril 2020 sur les politiques de distribution de dividendes et de rémunération variable dans le cadre du COVID-19 où elle exhorte les assureurs à suspendre temporairement toute distribution discrétionnaire de dividendes et tout rachat d’actions visant à rémunérer les actionnaires, tout en précisant que cette approche prudente devrait également s’appliquer aux politiques de rémunération variable. Les assureurs qui s’estiment légalement tenus de verser des dividendes ou des montants importants de rémunération variable doivent en expliquer les raisons sous-jacentes au CAA.
b. Le renforcement des obligations professionnelles à l’égard de la clientèle
Suite à une publication de l’EIOPA en date du 1er avril 2020 (EIOPA-BoS-20-261), les entreprises d’assurance et les intermédiaires sont invités à agir afin d’atténuer l’impact du COVID-19 sur les consommateurs, en assurant la continuité des activités et le traitement équitable des consommateurs ainsi qu’en agissant dans le meilleur intérêt de ces derniers, tout au long de leur relation avec eux.
Plus particulièrement, les entreprises d’assurance doivent, eu égard aux consommateurs, (i) leur fournir des informations claires et opportunes sur les droits contractuels et, plus précisément, l’étendue de leur couverture, les exclusions qui s’appliquent et l’impact du COVID-19 sur leur police d’assurance, (ii) les traiter de manière équitable et être explicites dans toutes les communications en évitant notamment le recours à des termes vagues, sujets à interprétation, (iii) les informer des mesures d’urgence prises ainsi que de l’impact qu’elles peuvent avoir sur leur relation contractuelle et les services fournis, (iv) continuer à appliquer les exigences en matière de surveillance et de gouvernance des produits tout en tenant compte de l’impact de l’épidémie et, le cas échéant, procéder à un examen des produits afin de déterminer s’ils restent conformes aux besoins, aux caractéristiques et aux objectifs du marché cible identifié et, si tel n’est pas le cas, prendre les mesures appropriées.
Ces mesures seront sans aucun doute bénéfiques pour les assurés, à qui un conseil générique ne peut pas être formulé. L’interprétation de la couverture offerte par les polices d’assurance peut nécessiter une analyse approfondie et ne peut se faire qu’au cas par cas. Au Luxembourg, où des mesures importantes ont été prises pour limiter les déplacements du public et les activités économiques, les polices d’assurance susceptibles d’être utiles aux assurés directement ou indirectement impactés par le COVID-19 sont nombreuses, tant dans le cadre de leur vie privée (l’assurance annulation voyages, l’assurance prolongation de séjour, les contrats complémentaires de santé, les contrats de prévoyance, l’assurance habitation) que professionnelle (l’assurance responsabilité civile des dirigeants, l’assurance pertes d’exploitation, l’assurance annulation d’événement et les contrats de responsabilité civile…). Les assurés restent donc invités à examiner le contenu de leurs conditions générales afin de vérifier s’ils sont effectivement couverts contre les risques liés au COVID-19.
Face aux déclarations de sinistres qui risquent d’être nombreuses dans le cadre de cette crise sanitaire inédite, l’EIOPA appelle également les assureurs à tenir compte des intérêts des consommateurs et faire preuve de souplesse en termes de processus et de délais, pour permettre aux assurés de conserver une couverture importante qui serait autrement perdue. L’interprétation de toute clause ambiguë concernant la couverture des sinistres liés au COVID-19 devrait donc dans l’esprit voulu par l’EIOPA, être lue en faveur du consommateur. Cette approche rejoint en tout état de cause la jurisprudence luxembourgeoise qui a depuis bien longtemps établi ce principe d’interprétation en faveur de l’assuré, alors que c’est l’assureur qui a rédigé le contrat, qui en a imposé les termes à l’assuré et qui, de ce fait, doit supporter les conséquences de l’équivoque. La souplesse attendue des assureurs doit toutefois s’entendre dans les limites du raisonnable et réalisable. Les assurés ne doivent donc pas s’attendre à une couverture rétroactive de risques non prévus dans les contrats.
Comme l’a souligné l’EIOPA, il convient de garder une certaine mesure afin d’éviter des risques de solvabilité importants. Un excès de souplesse reviendrait in fine à menacer la protection des assurés et la stabilité du marché, aggravant ainsi les répercussions financières et économiques de la crise sanitaire actuelle.