L’environnement fiscal international n’a cessé d’évoluer au cours de la dernière décennie sous l’impulsion du G20, de l’OCDE et de la Commission européenne. C’est ainsi qu’ont vu le jour de nombreux dispositifs d’échange de renseignements comme CRS et les Directives dites DAC de l’Union Européenne mais aussi des dispositifs anti-abus, parmi lesquelles les Directives dites ATAD 1 et ATAD 2.
Ces dernières mesures ont impacté non seulement les grands groupes internationaux, ou encore les fonds d’investissement, mais également les structures familiales dès lors qu’elles conduisent des activités transfrontalières.
Le projet de directive dit ATAD 3, publié le 22 décembre 2021, n’échappe pas à la règle. Ce projet vise à établir des règles anti-abus spécifiques à l’encontre d’entités dites « sociétés écran » ou « coquilles vides », c’est à dire des sociétés avec peu de substance. Le projet de Directive distingue toutefois les coquilles vides légitimes de celles qui sont utilisées à des fins fiscales.
En quelques mots, ce projet vise les entités résidentes dans des Etats membres qui sont impliquées dans des opérations transfrontalières et dont la gestion quotidienne et les décisions stratégiques sont externalisées.
Certaines entités sont de facto exclues du champ de la Directive comme les sociétés cotées et les entités réglementées (e.g. les OPCVM et FIA). Certaines sociétés holding, parmi lesquelles des sociétés patrimoniales luxembourgeoises sont en revanche susceptibles d’être directement impactées.
La Directive introduit en premier lieu des conditions visant à déterminer quelles entités sont susceptibles d’être considérées comme des sociétés écran (ci-après les sociétés à risque), un test de substance, ainsi que deux exclusions. Elle fixe par ailleurs les conséquences fiscales qui s’appliquent aux sociétés écrans, en particulier la perte du bénéfice des conventions fiscales et des directives européennes. Elle établit enfin les obligations déclaratives de ces entités, un mécanisme d’échange d’information entre les administrations fiscales des Etats membres, des sanctions et des procédures de contrôle.
Ce projet de Directive une fois adopté devrait être transposé par les Etats membres de l’Union Européenne et devenir effectif au 1er janvier 2024.
A. Les conditions fixées par la Directive
1. Les entités à risque
Dans une première étape, la Directive crée deux catégories :
- Les entités dotées d’ une substance potentiellement insuffisante et qui dès lors présentent un risque d’être utilisées à des fins fiscales ; et
- Les autres entités pour lesquelles ce risque est faible.
Les entités à risque sont celles (i) dont plus de 75% de leurs revenus tombent dans des catégories limitativement énumérées (essentiellement des revenus dits « passifs ») (ii) qui ont réalisé des opérations transfrontalières (e.g. lorsque plus de 60% de certains actifs ou revenus sont étrangers) et (iii) qui ont délégué la gestion quotidienne et la prise de décision stratégiques.
A contrario, ne sont pas considérées à risque, par exemple (i) les entités cotées ou réglementées, (ii) les entités situées dans le même Etat de résidence que les entreprises qu’elles détiennent et leurs bénéficiaires effectifs (i.e. situations purement domestiques) et (iii) les entités ayant au moins 5 employés à temps plein.
2. Le test de substance
Les entités à risque, telles que définies ci-dessus, devront déclarer chaque année – dans le cadre de leur déclaration fiscale – si les indicateurs de substance suivants sont atteints :
i. L’entité dispose de ses propres locaux ou de locaux dédiés à son usage exclusif ;
ii. L’entité a au moins un compte bancaire actif dans l’UE ; et
iii. L’entité a :
- un ou plusieurs administrateurs résidents (ou frontaliers), compétents et autorisés à prendre des décisions stratégiques, qui utilisent leurs pouvoirs de façon indépendante et régulière et qui ne sont pas employés ou mandatés par des entreprises non-liées ; ou
- une majorité d’employés à temps plein, résidents (ou frontaliers) et compétents pour réaliser les opérations qui génèrent les profits de l’entité.
Les entités à risque devront fournir à l’administration fiscale compétente des preuves écrites permettant d’étayer la réalité des éléments mentionnés ci-dessus.
Les entités qui auront déclaré respecter tous les indicateurs et qui auront fourni des preuves satisfaisantes seront présumées avoir une substance suffisant pour l’année fiscale concernée. Les autres seront présumées ne pas avoir une substance suffisante.
3. Renversement de la présomption
Les entités présumées ne pas avoir un niveau de substance suffisante, conformément à la section précédente, pourront renverser cette présomption en fournissant les éléments suivants :
- Un document justifiant les raisons économiques de l’existence de l’entité (i.e. les raisons non fiscales de la mise en place de cette entité) ;
- Des informations concernant les employés de l’entité, incluant leur expérience, leurs pouvoirs, fonctions, qualifications, leur type de contrat de travail et sa durée ; et
- Des preuves concrètes établissant que les décisions stratégiques sont prises depuis l’Etat dont l’entité est résidente.
L’administration compétente considèrera que la présomption a été valablement renversée si les explications et documents repris ci-dessus permettent de conclure que l’entité a exercé de manière régulière le contrôle, et a supporté les risques relatifs aux activités génératrices de profits.
L’administration fiscale pourra étendre le reversement de la présomption pour une durée de cinq ans si les circonstances factuelles et légales ne changent pas durant cette période.
4. Exemption
L’administration pourra également octroyer une exemption aux entités à risque qui en font la demande pour autant que l’existence de cette entité ne conduise pas à une réduction de la charge fiscale des bénéficiaires effectifs ou du groupe dont l’entité fait partie.
La preuve de l’absence d’économie d’impôt devra être apportée par l’entité à risque.
Cette exemption pourra également être étendue pour une durée de cinq ans si les circonstances factuelles et légales ne changent pas durant cette période.
B. Les conséquences fiscales d’une substance insuffisante
Les autorités fiscales en charge une entité à risque (i) n’ayant pas une substance suffisante, (ii) n’ayant pas renversé la présomption et (iii) ne bénéficiant pas de l’exemption refuseront d’émettre des certificats de résidence pour l’entité concernée ou bien émettrons des certificats de résidence mentionnant que l’entité concernée n’est pas en mesure de bénéficier des mesures visant à éviter la double imposition prévues par les conventions fiscales et les directives européennes dites mère-fille et intérêts redevances.
En conséquence, une imposition à la source devrait être appliquée par les Etats (membres) de source des revenus, sans bénéfice des taux réduits ou exonérations prévues par les conventions fiscales.
D’autre part, les associés des entités concernées qui résident dans un Etat membre devraient être imposés comme s’ils avaient eux-mêmes réalisés les profits de l’entité concernée (i.e. comme par transparence) déduction faite des impôts payés par l’entité.
Le même raisonnement devrait s’appliquer aux impôts assis sur le capital ou la fortune.
Le traitement fiscal de la société écran ne devrait toutefois pas être impacté par la Directive.
C. Autres aspects
1. Echange d’information
Des informations collectées dans le cadre de la présente directive et concernant toutes les entités à risque (qu’elles remplissent le test de substance ou non, qu’elles aient renversé la présomption ou non ou bien qu’elles bénéficient de l’exemption ou non) seront automatiquement échangées avec les autorités fiscales des autres Etats membres.
A titre d’exemple, pourront être échangées des informations concernant les locaux, les administrateurs, les employés et l’activité de l’entité concernée.
2. Sanctions
Le défaut ou la fausse déclaration liée aux critères d’entités à risque et au test de substance seront passibles d’une amende d’au moins 5% du chiffre d’affaires de l’entité.
3. Contrôles
Les autorités fiscales d’un Etat membre pourront en outre demander à leurs homologues européens de contrôler toute entité s’ils ont des raisons de penser que l’entité en question n’est pas en conformité avec la directive ATAD3 et ce, quand bien même les autorités fiscales de l’Etat de résidence de ladite entité le pensaient a priori.
Quel impact pour vous ?
Bien que la Directive ne soit pas encore adoptée et qu’elle ne devrait pas produire d’effet avant le 1er janvier 2024, ses conséquences potentielles devraient inciter à l’anticipation.
De notre point de vue, il est judicieux d’évaluer à l’avance :
1. Si l’entité tombe ou non dans le champ de la Directive ; et
2. Si oui, quelles en seraient les conséquences fiscales.
La réponse à ces deux questions permettra ensuite d’envisager toute décision pertinente avant l’entrée en vigueur de ces nouvelles règles.